Les hommes ont longtemps entravé la participation des femmes par des obstacles institutionnels, notamment en leur refusant l’accès à une formation musicale et à la pratique d’un instrument dans la sphère publique (Ravet, 2003)*. Un changement s’opère dans la seconde moitié du XXe siècle : les écoles de musique s’ouvrent aux filles, le droit d’exercer la profession d’enseignante, d’instrumentiste, puis de musicienne d’orchestre dans la sphère publique se concrétise et les différentes classes d’instruments sont accessibles aux femmes dans les conservatoires.
Aujourd’hui, la part des femmes s’est accrue dans les orchestres et cela notamment grâce à l’utilisation du paravent, empêchant de voir l’interprète, adopté lors des auditions. Néanmoins, la division sexuelle du travail reste une constante. Les femmes accèdent rarement au poste de cheffe d’orchestre. Si elles deviennent instrumentistes, elles seront d’avantage présentes parmi les instruments à cordes plutôt qu’avec les cuivres ou les instruments à vent. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le pupitre des cordes, celui où les femmes sont les plus nombreuses, est aussi celui où les places de solistes sont plus rares. Les femmes sont donc plus ancrées dans le rôle d’accompagnement tandis que les hommes acquièrent plus de responsabilités et un plus grand pouvoir de décisions sur les créations (Ravet, 2003)*
Dans le cas de la musique classique, le rapport entre corps et instrument s’inscrit dans une différenciation des rôles même s’il n’y a aucun argument physiologique valable : selon Hyacinthe Ravet, les femmes doivent rester gracieuse, leur jeu doit générer peu de souffle, de salive et de transpiration. De leur côté, les hommes doivent exprimer force et puissance. Dans le jazz, le rapport entre corps et chanteuse est aussi fortement présent puisqu’on détermine à l’égard des chanteuses des attentes basées sur « des stéréotypes corporels et naturels de la féminité ». Il y a donc, à travers ces constructions, une définition sociale de ce que sont la virilité et la féminité.
Il est intéressant également d’évoquer la pratique d’un instrument de musique selon le sexe et la façon dont l’inconscient intègre la notion de genre.
« Les élèves sont le reflet des professeurs donc si une femme donne des cours, ça va aider à la représentation de l’instrument », explique une élève en cuivres. *
Dans l’imaginaire collectif, certains instruments sont genrés. Comme la harpe et la flûte pour les filles et les cuivres pour les hommes. Pourtant, si l’on remonte au XIXème siècle, les femmes ne sont ni flûtistes ni harpistes : elles jouent du piano. Les instruments à vent ne sont pas assez élégants car ils déformeraient la bouche, et la harpe ou le violoncelle exigent d’écarter les jambes, ce qui était indécent pour l’époque. Ainsi, la “féminisation” de certains instruments est arrivé plus tard, sans véritable explication. A l’inverse on ne compte que 2 % d’hommes harpistes dans les orchestres.
Selon Hyancinthe Ravet : « Les différences sexuées en matière d’ambition et d’assurance se construisent au gré de l’éducation et de la socialisation. Ainsi, le fait d’être socialement plutôt moins bien préparé à la compétition se trouve intériorisé par les musiciennes comme étant lié à leur nature ».*
La société ne pousserait pas les femmes à concourir. Le problème du faible nombre de femmes solistes ne serait donc pas propre à la musique classique, mais plutôt à la société française.
*Ravet Hyacinthe, Coulangeon Philippe, 2003, « La division sexuelle du travail chez les musiciens français », Sociologie du travail, n °3, vol. 45, pp. 361-384.